jeudi 30 juillet 2009




"LABYRINTHES" /
Chloé Alifax


Je suis une pauvre fille. C’est ce que je me suis dis quand maman a tiré. Je n’étais déjà plus à la maison au bout du monde, j’étais partie depuis cinq ans et je me suis dis ça : « Je suis une pauvre fille. » parce que j’ai pensé que tout cela n’aurait pas pu se produire si je n’avais pas déserté aussi vite la maison au bout du monde. Et j’ai aussi pensé que maman avait besoin de moi, qu’elle avait besoin de moi au moment où elle avait choisi de s’emparer du fusil, qu’elle avait sûrement vu mon visage dans sa tête, derrière ses yeux, qu’elle s’était murmurée « Chloé » et qu’elle avait pris le fusil dans le salon, qu’elle avait attrapé l’arme en se répétant : « Pourquoi, tu n’es pas là ? Pourquoi, tu n’es pas là ? » et le fusil chargé dans ses mains et le prénom « Chloé » qui tourne qui tourne, et la gâchette, le déclic du chien qui aboie. BANG ! Mais c’est faux. Je suis une pauvre fille et tout cela, toutes ces interrogations sont fausses. Maman n’a jamais eu besoin de moi, maman n’a pas pensé à moi à l’instant du chien qui aboie, elle n’a pensé qu’à prendre le fusil dans le salon, vite vite, à appuyer sur la gâchette, à écouter le chien, BANG !, puis à tuer, à tuer papa devant elle, à l’éliminer de sa vie comme elle l’avait décidé.

Mon frère m’a raconté au téléphone, le lendemain. Mon frère était encore dans la maison au bout du monde. Mon frère plus jeune qui m’a téléphoné pour me raconter. Il m’a dit que la cartouche du fusil s’était logée dans le mur de derrière papa, que maman était une piètre tireuse, et qu’heureusement, et que lui, mon frère, avait réussi à résonner maman, à la ceinturer lorsqu’elle avait voulu armer de nouveau le fusil, qu’il lui avait fait lâcher le fusil, que maman s’était mise à hurler, à pleurer si folle et à hurler de longues plaintes incompréhensibles, que papa était blême, identique à de la craie, au plâtre effrité du mur blessé, et qu’il avait balbutié, et qu’il avait déclaré en balbutiant : « Je m’en vais… je… c’est terminé, je m’en vais. ». Et mon frère : « OUI, FOUS L’CAMP ! VAS-Y ! VA T’EN, PAPA ! » et maman : « NON…NON, NON, NON ! » et « La dingue ! » de papa, et « cette femme est malade, complètement malade ! ». J’ai dit à mon frère : « Je vais venir. » mais il m’a répondu que ce n’était pas la peine, qu’il s’occupait de tout, que papa était parti, parti, qu’il était allé rejoindre l’autre femme, que maman était à peu près calme, non, qu’il n’y avait pas besoin de ma présence dans la maison au bout du monde. A cette époque, j’étais seule dans la ville aux multiples labyrinthes. Papa venait d’avouer à maman qu’il avait rencontré une autre femme, et maman s’était emparée du fusil dans le salon, et maman avait appuyé sur la gâchette pour que le chien aboie, que la mort fauche papa, qu’elle fasse ce que maman venait de décider. Mais maman n’a jamais su tuer, elle n’a jamais su tirer et papa avait balbutié « dingue ! », « malade ! » et il était allé retrouver l’autre femme, vite, si vite, fuyant les hurlements et les insultes dans son dos, blême comme de la craie, comme le plâtre du mur blessé. J’ai pensé alors : « Je suis une pauvre fille. » puis mon frère m’a rassuré : « Je te tiens au courant. Ne t’inquiète pas. Je te téléphone très bientôt. ».

Mon frère a quitté la maison au bout du monde, deux mois après. Cette scène s’est déroulée il y a un an. Je n’ai pas de fusil dans mon appartement. Je suis une pauvre fille. Je ne sais même plus quand mon histoire débute. Aujourd’hui ou il y a un an, lorsque maman a tiré dans le mur du salon et que papa est parti, qu’il a balbutié « dingue ! » puis qu’il est parti de la maison au bout du monde."

Chloé Alifax.

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